De formation générale scientifique, j'ai passé un peu plus de 10 ans comme Responsable Qualité dans le secteur industriel automobile. C'est un poste central au sein d'une entreprise, qui m'a permis d'avoir une vision globale du fonctionnement des systèmes. Sans le savoir, être en lien avec toutes les parties d'une telle organisation fut une première expérience de la complexité de la psyché humaine.

J'ai pu y observer les dissonances, les oppositions et la progressive disparition de liens entre les différentes strates hiérarchiques du modèle productiviste. En 2018, j'ai profité d'une restructuration d'entreprise, pour me retirer d'un quotidien qui ne faisait plus sens.

J'ai alors entamé un parcours d'introspection, une remise en question progressive de toutes mes convictions. Qu'est-ce qui ne fonctionne pas? Est-ce moi le problème? Est-ce les autres ? Est-ce notre société ?

Faire un constat impuissant ne me satisfaisait plus. Je ressentais le besoin d'agir. Cependant, là où j'attendais une action circonstancielle (comment agir sur les choses ?), j'y ai trouvé une action ontologique (comment comprendre les choses ?). Mais, ce processus ne s'est pas fait en un jour. S'il s'est entamé à cette époque, il continue toujours aujourd'hui. Cette étape n'était donc pas un changement brutal, mais une lente et progressive révélation.

Je n'ai jamais pensé pouvoir être philosophe. Je n'ai d'ailleurs pas vraiment lu de livres avant 35 ans. Comme beaucoup, la philosophie me paraissait inaccessible, le domaine d'une élite intellectuelle, et pas vraiment séduisante, elle ne me paraissait pas très utile au quotidien.

Alors que s'est-il passé ?

Un dévoilement du Soi

Au risque d'en décevoir certains, je pense qu'il ne s'est rien passé d'exceptionnel ou de providentiel. Je ne parlerais pas non plus de changement, mais, comme je l'ai dit, plutôt de révélation. Cependant, il ne s'agit pas de la révélation d'une quelque conque vérité universelle, mais d'une révélation de Soi, une prise de conscience de qui on est, de comment on fonctionne, aussi bien soi-même, que l'être humain en général.

Il m'a fallu des années pour comprendre de quoi il s'agissait. D'abord, on ressent qu'il se passe quelque chose, mais on ne sait pas trop quoi. Puis, parfois, on croit enfin le savoir, mais cette croyance ne dure pas longtemps. C'est un parcours chaotique, un ascenseur émotionnel. Mais cette sensation de vertige est en réalité normal. Sortir de soi, sortir de ce monde familier et sécurisant, n'est pas naturel. Notre esprit, prolongement de notre organisme biologique, lutte, met en place des mécanismes d'autoprotection. S'en extirper demande donc une certaine dose de volonté. Prendre de la distance se fait alors progressivement, par étapes successives. Il faut acclimater son esprit, sans quoi celui-ci a vite fait de se rétracter sur lui-même.

Cependant, lorsque l'on comprend, enfin, ce que le dévoilement du Soi signifie, le parcours n'est pas fini. Cette révélation ne change pas qui nous sommes, mais change le regard que nous partons sur qui nous sommes. Par conséquent, se révéler à soi-même ne nous permet pas de changer, d'être quelqu'un d'autre. Cela nous permet juste de "savoir" de "comprendre", ce qui nous permet alors d'agir pour ce que Platon appelle "le Beau", " le Bien", "le Juste", c'est à dire, agir pour ce que nous partageons tous, au delà de nous même : le sens.

Malheureusement, cette révélation n'est séduisante que lorsque l'on en saisie la portée. C'est surement pour cela, qu'il nous est si difficile d'y accéder, car sans séduction, sans attrait, sans sens, l'esprit se rétracte, une nouvelle fois. Alors comment faire ?

Une révélation philosophique

J'ai tâtonné, pendant des années, cherchant quelle formule serait la bonne. Se lancer dans la philosophie, sans bagages, sans diplômes, était inconscient. Mais, comme pour de nombreuses choses dans ma vie, je me suis senti porter. Quel que soit le domaine que je pouvais toucher, un phénomène récurent paraissait être présent. Ce qui me parait s'en rapprocher le plus est le lógos d'Héraclite, que l'on pourrait définir comme cette chose qui nous dévoile le monde, à la fois sa constitution, son expression, sa perception. On ne peut le saisir qu'en nous ouvrant à elle, qu'en dialoguant avec elle. C'est exactement ce que j'ai trouvé dans la pratique philosophique : l'art de dialoguer, ou l'art de révéler.

En 2020, j'ai effectué un tutorat auprès de l'IPP (Institut de Pratique Philosophique), fondé par Oscar Brenifier. Je n'ai pas retirer grand chose des dizaines d'heures de cette formation, car je n'ai pas compris, sur le moment de quoi il s'agissait. J'ai, cependant, découvert une chose importante : le dialogue philosophique. Il m'a fallu plus de 2 ans, et un travail autodidacte, pour en comprendre le fonctionnement, la portée, la nécessité et les bienfaits. Ironiquement, ce n'est pas par le tutorat de l'IPP, que j'ai acquis ces compétences, mais par l'étude minutieuse de l'ensemble du travail d'Oscar Brenifier. Ce paradoxe me semble démontrer que chaque parcours est différent et que l'approche "scolaire" ne correspond pas à tous.

Ce qu'il faut retenir de cette approche de la philosophie, c'est l'approche pratique et non académique. C'est une compréhension de l'esprit humain. Chaque rencontre est identique et nouvelle, à la fois. Chaque individu fonctionne pareil et différemment, à la fois. Depuis 2018, ma bibliothèque croit exceptionnellement, pour rattraper 20 ans de retard. Si l'appui des penseurs historiques m'enrichit énormément, ce sont, cependant, les rencontres que je fais qui me suscitent le plus d'étonnement. On a beau comprendre les méandres de l'esprit humain, il est toujours surprenant de constater son incroyable et incertaine capacité à s'effondrer ou se transcender.

C'est sur cette base que je développe activement, depuis 2023, un programme de diffusion des méthodes de dialogue philosophique, auprès des particuliers, des médiathèques, des institutions, des écoles, des associations et des professionnelles, au travers de consultations spécifiques, d'ateliers collectifs ou de conférences.

Mon intention est, ainsi, de partager cette révélation philosophique, comme Socrate le faisait, il y a près de 2 500 ans.

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