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La société juste de l’honnête homme

31/03/2023

La société juste de l’honnête homme

Il y a environ 10 000 ans, Homo Sapiens a connu ce que nous pourrions appeler une Révolution Sociale. En effet, l’apparition de la sédentarisation va provoquer la nécessité de redéfinir les liens entre les individus. Peu à peu des villages, qui deviendront des villes, puis des pays, vont mettre l’Homme face à une nouvelle problématique : comment organiser une communauté d’individus de plus en plus nombreux ?
L’Histoire de l’humanité n’est finalement que le long récit de ce questionnement, dont nous n’avons toujours pas trouvé de réponse satisfaisante, du moins dans les faits. Cependant, de nombreux penseurs nous offrent des pistes de réflexion, définissant simplement les conditions premières de l’acte de faire société.

 

Aristote, philosophe grec du IVe siècle av. J.-C., a travaillé, entre autres, sur cette notion. Dans le livre I de « Les Politiques », il nous en offre une définition : « Avoir [la perception du bien, du mal, du juste et de l’injuste] en commun, c’est ce qui fait une famille et une cité ». Le fondement des liens entre individus trouve donc son origine dans la capacité de ceux-ci à parler la même langue éthique, c’est-à-dire à partager les mêmes notions morales. Bien et mal, juste et injuste ne sont que des concepts subjectifs, auxquels il faut donner du relief, de la complexité, pour percevoir les nuances qu’ils revêtissent selon les contextes propres à chaque situation. Dans le cas contraire, apparaissent des dissonances morales qui peuvent être comparer à deux personnes, ne parlant pas la même langue, incapables d’échanger. Alors n’étant pas en mesure de discuter, elles ne trouvent pas d’autres moyens que de se disputer.

 

Famille ou cité, le langage éthique permet de se lier, de s’unir. Mais là où la famille est limitée à sa condition, la société humaine promet à l’homme des conditions plus confortables. Aristote nous dit : « Bien que se constituant en vue de vivre, la cité existe, en vue de la vie heureuse ». Faire société est donc l’acte de s’organiser pour mieux vivre, pour une vie plus vertueuse, une vie de loisir comme l’entendaient les anciens, c’est-à-dire une vie où l’homme est en mesure de se libérer de ses agitations quotidiennes pour apaiser son âme, calmer son esprit, atteindre l’ataraxie. La vie vertueuse n’est donc possible qu’en adoptant des relations vertueuses avec son environnement, autrement dit envers les individus avec lesquels on vit.

 

Dans le livre V, consacré à la justice, de « Ethique à Nicomaque », Aristote nous dit : « Le meilleur [individu] n’est pas celui dont la vertu s’exerce envers lui-même : c’est au contraire celui qui l’exerce envers autrui, car ce comportement représente une tâche difficile ». Le philosophe touche au point central de la notion de société : il s’agit non pas d’agir envers soi mais envers l’autre. C’est là que la vertu prend pleinement forme. C’est une notion bien trop oubliée de nos jours, où la plupart d’entre nous agissent pour leur propre personne. Or, si chacun adopte une attitude individualiste, la société est condamnée, puisqu’aucun de ses membres n’est capable de parler le même langage éthique. La communauté se divise et les disparités sociales s’amplifient.

 

C’est pour cela qu’Aristote introduit la notion de justice : « Le genre d’état qu’on entend appeler justice est celui qui pousse à exécuter les actes justes, c’est-à-dire qui entraine à agir justement et à souhaiter tout ce qui est juste ».
Mais qu’est-ce qui est juste ? Il nous répond : « Ce qui est juste, c’est ce qui est légal et ce qui est équitable ». Il ajoute : « Nous appelons justes les prescriptions susceptibles de produire et de garder le bonheur et ses parties constituantes au profit de la communauté des citoyens ».
La justice est donc le fait de préserver ce qui est favorable à la communauté, de manière légale et équitable. Notons qu’ici l’individu fait partie de cette communauté. Il ne s’agit donc pas de la privilégier par rapport à l’individu, mais de trouver un compromis entre les deux.

 

Le légal est ce qui est conforme à la loi. Mais attention, il ne s’agit pas, de reconnaître comme juste une quelconque loi humaine tyrannique. Comme toute traduction, il est important de nuancer la notion exprimée. Le légal est ici, ce qui est suffisant, mesuré, que l’on peut opposer à l’illégal, qui est ce qui est en trop, démesurée. C’est la notion de proportionnalité qui est introduite ici. C’est la même notion que l’on retrouve dans l’équité. L’équité n’est pas l’égalité nous dit Aristote : « La réciprocité veut qu’on rende en proportion et non selon le principe d’égalité. C’est en effet parce qu’on retourne en proportion de ce qu’on reçoit que la Cité se maintient ». Il ajoute « Ce qui est juste, c’est quelque chose de proportionnel […] dès lors que la proportion est une égalité de rapports ».


L’équité est donc l’égalité des rapports, c’est-à-dire l’équilibre entre ces rapports et non l’égalité des individus, à savoir l’équilibre entre les individus eux-mêmes. Pour l’illustrer, nous pouvons dire qu’un partage égalitaire est le fait d’attribuer la même chose à chacun, qu’importe ses besoins. Un partage équitable est le fait d’attribuer une part différente à chacun, selon ses besoins. Une fois de plus Aristote le résume parfaitement bien : « L’injustice, au contraire, porte à exécuter ce qui est injuste, c’est-à-dire excessif et déficient en répartissant ce qui est utile ou nuisible hors de proportion ».
Le légal et l’équitable sont donc la mesure parfaite de ce qui est nécessaire au bien-être de la communauté et de l’individu. « L’action juste tient le milieu entre l’injustice que l’on inflige et celle que l’on subit, puisque l’une consiste à détenir trop et l’autre trop peu ».

 

Mais définir cette proportionnalité n’est pas chose simple : « Il faut savoir comment agir et comment partager justement. Or cela représente un travail ardu ». C’est pour cela que l’injustice doit être différenciée de l’acte injuste et la justice de l’acte juste. Chacun étant soumis à de multiples facteurs (contextuels, psychologiques) dans sa vie, nous ne sommes pas toujours en capacité d’éviter de commettre des injustices et, à l’inverse, nous pouvons faire preuve de justice involontairement. Être juste ou injuste n’est pas complétement en notre pouvoir.
Par contre, nous sommes en mesure d’orienter nos décisions, de choisir de réaliser un acte qui nous paraît juste ou injuste. « Un acte juste ou injuste se définit par le consentement ou le non-consentement », nous dit le philosophe.
Pour savoir comment agir justement, il nous est donc nécessaire de faire un effort, l’effort suprême pour Aristote, celui de garder à l’esprit ce pour quoi nous faisons société. C’est un effort des plus « ardus » que de penser à l’autre avant de penser à soi, sans s’oublier pour autant. Cet effort, il le nomme « Epieikeia », qui signifie couramment bonté, mais que l’on peut dans ce cas traduire par honnêteté.

 

Mais qu’est-ce que l’honnêteté ?
« L’individu qui n’épluche pas la loi au mauvais sens du terme, mais incline à accepter moins que son droit, bien qu’il ait le secours de la loi, celui-là est un honnête homme ». Aristote décrit ici les limites de la législation humaine. Les lois sont faites pour organiser les hommes sur des principes médians, c’est-à-dire des principes généraux, permettant de répondre aux dérives principales de la société humaine. Mais, les lois, à l’image des hommes, sont imparfaites. Il est nécessaire d’apporter un « décret » à cette loi, pour éviter « une faute entraînée par une formulation trop simple ». C’est donc le rôle de l’honnêteté.


Être honnête, c’est refuser une position avantageuse lorsqu’elle n’est pas nécessaire et qu’elle s’avère surtout défavorable pour l’autre, mais c’est également, accepter une position désavantageuse lorsque l’autre est défavorisée par une loi. Autrement dit, c’est un correctif à la législation commune que l’on décide d’apporter pour le bien de la communauté. C’est l’abandon d’une position bénéfique au profit d’une position équitable, c’est-à-dire proportionnée, juste.

 

Pour résumé, nous pouvons dire que la société est une structure conventionnelle, dépendant de la stabilité des accords entre ces membres. Ces membres doivent posséder un langage éthique commun pour pouvoir définir ces accords et agir ainsi pour le bien de la communauté. Sa pérennité repose sur la capacité de chacun à se mesurer individuellement pour le bien collectif (le légal), mais le collectif doit également préserver le bien-être de chaque individu (l’équité).

 

Pas de cité sans justice, pas de justice sans proportionnalité, pas de proportionnalité sans honnêteté. La société juste nécessite un(e) honnête homme/femme.

Ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous

24/03/2023

Ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous

Notre époque nous donne le sentiment que notre destin est entre nos mains. De nombreuses maximes nous bercent, depuis notre plus jeune âge : « Qui veut, peut », « Prends ta vie en main », « Ta vie t’appartient », « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Ajouté à cela, la mythologie contemporaine nous incite à toujours plus de contrôle : croissance, compétition, performance, maîtrise.


Cependant, force est de constater que cette invitation à l’action ne porte ses fruits, en apparence, que lorsqu’elle est accompagnée de réussite. Mais, en regardant de plus près les conditions de cette réussite, on s’aperçoit, d’une part, qu’il y a peu d’élus pour de nombreux prétendants et, d’autre part, que le prix éthique de celle-ci est proportionnel au niveau de succès recherché. En d’autres termes, pour réussir, il ne faut pas avoir trop d’état d’âme, sans quoi, on ne peut rien accomplir. Le célèbre mythe américain du « Winner » (et du « Looser ») est basé sur une lutte sans scrupule pour « le pouvoir ».

 

Pouvoir. Littéralement, « être en capacité de ». Ce terme désigne donc le fait d’être dans une position qui nous offre la possibilité d’agir avec une certaine liberté, une certaine volonté. Il s’agit donc d’une opportunité qui s’offre à nous, que nous pourrions tout aussi bien ne pas posséder. Et, c’est bien pour cela que nous affectionnons autant « le pouvoir ». Il est synonyme de sécurité, de préservation du monde tel que nous le souhaitons. Tout cela pourrait en être autrement. Sans pouvoir, nous sommes à la merci des autres, esclaves de leur volonté. Sans pouvoir, nous sommes dépendants des lois de la Nature, nous perdons cette émancipation que nous nous donnons tant de mal à obtenir, depuis plusieurs millénaires. Il faut alors tout mettre en œuvre pour obtenir ou préserver ce pouvoir.

 

La volonté de maîtrise trouve sa source dans cette préservation du pouvoir. C’est parce que je souhaite m’assurer d’une aptitude quelconque que j’entame un processus de stratagèmes, parfois complexe, parfois même absurde, ayant pour but l’emprise sur les facteurs conditionnant cette aptitude. Plus le pouvoir est crucial à mes yeux, plus mon champ de perception se restreint et plus mon attention se cristallise sur un périmètre étriqué. Les éléments hors de ce périmètre s’opacifient, et finissent par disparaître de mon champ de perception, à mesure que celui-ci s’isole.

A son stade ultime, la volonté de maîtrise devient frénétique. C’est une agitation violente qui prend possession de nous, qui nous met même hors de nous. Nos actions sont alors démesurées, démentes, inconscientes. C’est une implosion passionnelle qui nous consume de l’intérieur. Le Winner cède, finalement, tout autant que le Looser, sous le poids du pouvoir. Finalement, il n’y a aucun vainqueur dans cette course au pouvoir. Lorsque que nous possédons le pouvoir, c’est paradoxalement lui qui a l’air de nous posséder. Est-il alors toujours sous notre contrôle ?

 

Il est intéressant, à ce stade, de se reposer la question : Qu’est-ce qui est réellement en notre pouvoir ?

Epictète, philosophe stoïcien du Ier siècle, nous offre une réponse fondamentale : « Ce qui dépend de nous », à savoir : « Le pouvoir de bien user de nos représentations. Quant [au] reste, il ne dépend pas de nous ».
Ce « reste » dont parle Epictète est tout ce que, de nos jours, nous avons l’intention de contrôler, tous ces facteurs pour lesquels nous nous agitons quotidiennement : « Cela n’arrive pas tel que je l’aurais voulu », « Que va-t-il (elle) penser de moi ? », « Je dois réussir », « Comment changer les choses ? », « Je n’ai pas le temps ». Parmi ces choses, il y a ce qui dépend des autres, d’une part, c’est-à-dire leurs actions, leurs opinions, leurs sentiments que nous ne pouvons contrôler, malgré notre envie, et, d’autre part, la Fortune, comme le disaient les philosophes antiques, c’est-à-dire l’ordre des choses, ce qui advient, qui nous est favorable ou non, malgré nous. Epictète va jusqu’à nous enseigner que notre propre corps ne dépend pas de nous. Certes, ces constats sont déplaisants et sont difficiles à digérer, ce qui explique, notamment, notre tendance à les occulter, à les ignorer.

 

Mais, malheureusement, l’ordre des choses finira tôt ou tard par nous rattraper, comme nous dit le philosophe stoïcien : tout le monde meurt. « La mort n’est rien de redoutable. […] Mais le jugement que nous portons sur la mort en la déclarant redoutable, c’est là ce qui est redoutable. Lorsque donc nous sommes traversés, troublés, chagrinés, ne nous en prenons jamais à un autre, mais à nous-mêmes, c’est-à-dire à nos jugements propres ».

 

C’est notre représentation qui dépend de nous, notre manière de regarder ce qui advient. N’est donc redoutable, que ce qui nous paraît redoutable. A nous de travailler notre représentation, d’acquérir les moyens de donner de la profondeur, de la perspective à ce qui advient. Mais cela n’est possible qu’à travers une remise en question de soi et l’amorce d’un parcours long et difficile. Ce n’est qu’à travers un tel travail, que l’on peut espérer acquérir un quelconque pouvoir, le pouvoir de notre représentation.

 

En attendant, gardons espoir avec ces quelques lignes d’Epictète :

 

« Signe de celui qui progresse : il ne blâme personne, il ne loue personne, il ne se plaint de personne, il n’accuse personne, il ne dit rien de lui-même comme de quelqu’un d’importance ou qui sait quelque chose. Quand il est embarrassé et contrarié, il ne s’en prend qu’à lui-même. Quand on le loue, il rit à part soi de celui qui le loue ; et, quand on le blâme, il ne se justifie pas. »

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