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Les enfants possèdent une sensibilité aux phénomènes mystérieux de l'existence. Dés le plus jeune âge, on constate qu'ils observent, s'étonnent, questionnent le monde qui les entoure. C'est exactement ce qui caractérise l'émergence de l'acte philosophique !
Même si le système neurologique de l'enfant n'est pas en mesure de tenir des raisonnements aussi complexes que celui d'un adulte, les enfants sont en mesures de stimuler leur esprit. Stimuler ne signifie pas solliciter à des fins performatives, mais activer des mécanismes. Ces mécanismes peuvent se résumer sous trois formes de pensées : la pensée critique, la pensée créative et la pensée bienveillante.
" Philosopher,
c'est s'étonner "
Il est nécessaire de nuancer la " philosophie disciplinaire ", de la " philosophie pratique ". Certes, l'apport des grands penseurs de l'Histoire constitue un héritage précieux pour tout individu s'interrogeant sur la condition humaine. Cependant, il n'est pas nécessaire d'être érudit, pour acquérir les mécaniques de pensée nécessaires à la maturité spirituelle.
Pour de nombreux adeptes de la philosophie pour enfants, la formation du jugement pratique doit démarrer bien avant 17-18 ans. On sait, aujourd'hui, que Socrate, déjà, dialoguait avec des adolescents. Montaigne, de son coté, considérait que la philosophie renfermait des leçons sur l'existence, dont il était absurde de priver de jeunes esprits en construction.
Michel Sasseville, figure francophone de la philosophie pour enfant, dit que l'étonnement débute par le doute. Ainsi, parce que le doute demeure l’étonnement demeure, et parce que l’étonnement demeure le questionnement demeure, et parce que le questionnement demeure le dialogue peut continuer.
" Une question ?
Voici venu le temps de la réflexion ! "
La pratique philosophique propose un accomplissement éducatif atypique. Elle n'est pas centrée sur l'amassement d'un capital intellectuel, acquis par la transmission d'une compétence ou le partage de savoirs. Par l'ouverture philosophique, l'esprit éprouve le fait qu'il est à la source de son propre dévoilement. L'enfant devient moteur de sa pensée. Il est, ainsi, conscient, consentant et clairvoyant dans le choix de ses idées.
A travers son parcours scolaire, l'enfant est trop souvent vu comme un objet de savoir. Pour dépasser cette conception, parfois mutilante, la pratique philosophique se présente comme processus de construction évolutif, qui prend source dans l'élargissement du moi. En pensant par lui-même, l'enfant s'extrait intellectuellement de son état de minorité. En devenant majeur, l'enfant n'est plus un simple élément du paysage de la pensée, il en devient une partie prenante. C'est ainsi que l'autonomie intellectuelle nous permet de devenir adulte.
" Réfléchir,
c'est grandir "
Les ateliers sont vus par Matthew Lipman, pionnier américain de la philosophie pour enfants, comme des "communautés de recherche". Il s'agit donc d'entamer, par l'intermédiaire du dialogue, la construction d'une expérimentation commune de la pensée. Celle-ci trouve sa source dans l'intersubjectivité, c'est à dire, dans la réciprocité des idées de chacun. Penser ensemble nous permet ainsi d'éprouver nos opinions, de découvrir des cheminements alternatifs, de partager des raisonnements.
A travers les ateliers, les enfants découvrent, sans le savoir, la richesse et la complexité de la pensée : questionner, expliquer, illustrer, conceptualiser, argumenter, problématiser, douter, induire, déduire, distinguer.
De même, ils acquièrent de nombreuses compétences pratiques : bienveillance, ouverture d'esprit, dialogue, temporisation, logique, estime de soi, créativité, critique, complexité.
" Dialoguer,
c'est progresser, ensemble "
Toute société humaine se construit sur des conventions. Vivre ensemble, c'est apprendre à faire des compromis, à savoir laisser une place à l'autre, tout en ne négligeant pas la sienne. La formation intellectuelle du citoyen passe par l'acquisition d'un regard critique sur le monde, d'une ouverture d'esprit et d'une capacité empathique.
Dans ce sens, le gouvernement français a mis place un enseignement moral et civique, visant principalement à développer les compétences suivantes, chez les enfants : culture de la sensibilité, culture de la règle et du droit, culture du jugement, culture de l'engagement.
La pratique philosophique s'inscrit pleinement dans la démarche initiée par cet enseignement.
L'atelier philosophique, à l'image de la notion de citoyenneté, ne vise pas la paix comme absence de désaccord, mais offre un lieu de paix qui est dédié à la confrontation apaisée des divergences d'opinions et à leurs mises en lumière. On peut, ainsi, considérer le dialogue philosophique comme un outil de prévention, voir de diminution de la violence, physique, comme psychique.
" Se questionner, s'écouter, s'entraider "
Les ateliers philosophiques trouvent, parfaitement, leur place à l'école, dans le cadre de l'enseignement moral et civique. Il est possible de démarrer dès la maternelle. Cependant, c'est au primaire que le dialogue se complexifie et devient utile et intéressant. C'est entre 8 et 12 ans, à la préadolescence, que le conditionnement intellectuel de l'enfant est crucial. Acquérir les compétences liées au dialogue philosophique, à ce stade, prépare l'enfant à la brusque dépressurisation de l'intelligence, souvent appelé " âge bête ".
Cependant, le travail ne s'arrête pas là. Intégrer la pratique philosophique au collège et au lycée est tout aussi important. Les approches peuvent différer, le dialogue devenant plus difficile. Mais, ce dernier apparait plus profond et enrichissant.
Enfin, les ateliers philosophiques peuvent donner de la perspective aux étudiants du supérieur, en leur offrant une profondeur de réflexion sur le domaine auquel ils se forment, et en les sensibilisant sur le sens et l'interdépendance de celui-ci.
Les ateliers philosophiques sont donc bénéfiques sur le long terme, c'est le principe de toute pratique. Néanmoins des ateliers ponctuels, en tout lieu, même hors scolaire, sont une occasion de découvrir l'étrange et agréable expérience du dialogue.
" De la Maternelle, au supérieur,
une pratique continue "
La philosophie pour enfant a vu le jour dans le courant des années 70. Depuis les années 2000, on peut identifier 4 principales méthodes. Chacune présentent ses avantages, mais elles restent, cependant, différentes, dans leurs approches, et surtout dans leurs résultats. Il sera alors intéressant d'adapter les ateliers en fonction des besoins et du contexte. Il est également possible de croiser les méthodes en empruntant, par exemple, la structure de la CRP, le bâton de parole ou les moments de silence de l'ARCH et la théâtralisation démocratique de la DVDP, le tout parsemé de maïeutique socratique lorsque les esprits se dispersent. Je considère donc toutes ces méthodes comme complémentaires, mais l'adaptation reste, malgré tout, dépendante de l'animateur. C'est pourquoi, il me parait préférable que ces ateliers soient menés par des personnes à l'aise avec la (les) méthode(s) utilisée(s). Tout ceci fait des ateliers philosophiques une expérience vivante, différente à chaque fois, et évoluant dans le temps.
Je vous propose, ci-dessous, une synthèse des 4 méthodes, ainsi qu'une démarche supplémentaire, et complémentaire, de méditation laïque, visant à travailler la capacité d'attention.
Développée par Matthew Lipman, dans les années 70, la CRP propose l'acquisition d'un raisonnement naturel méthodique et systématique. Il s'agit d'être logique, non pas devant une feuille d'examen, mais dans la vie quotidienne. Cette logique se développe par la Communauté. Ainsi, le groupe doit coopérer pour passer du point de vue de chacun à une véritable enquête commune, qui cherche à dépasser l'addition des points de vue, pour atteindre une vision plus complexe de la question traitée.
A travers la recherche collective, les enfants doivent produire des hypothèses, les argumenter, en rechercher des objections, afin d'en synthétiser un constat commun, apparaissant alors plus complexe et nuancé qu'il ne l'était au départ.
La méthode de Lipman s'appuie des extraits de ses romans philosophiques pour enfants. Mais, il est possible de l'adapter sur des contes, textes, audios ou vidéos. Les supports sont des bases permettant d'initier le dialogue.
Développé, principalement, par Michel Tozzi, la DVDP a, comme son nom l'indique, une double dimension : philosophique et démocratique.
La dimension philosophique fait appel à 3 exigences intellectuelles : la conceptualisation (définir et distinguer les concepts), la problématisation (élargir les concepts) et l'argumentation (vérifier la cohérence des concepts).
La dimension démocratique structure la discussion, donnant un cadre au projet de penser en groupe, réglementant la parole, travaillant l'écoute et le respect de la différence.
La DVDP est un apprentissage de la discussion dans l'espace public. Elle propose ainsi une " théâtralisation " du dialogue collectif, à travers un certain nombre de " fonctions " attribuées à chacun des protagonistes : les participants alimentent le dialogue, le président de séance est garant du cadre réglementaire, le reformulateur, permet de stimuler l'attention, le synthétiseur, offre une perspective large de l'échange, et les observateurs, diagnostiquent la réussite ou non de l'exercice.
Chacun des rôles sollicite des compétences spécifiques, nécessaires au bon déroulement d'un dialogue en société. Un tel exercice permet de prendre conscience, par la pratique, de ces compétences.
Jacque Lévine, psychologue, s'est très tôt intéressé à la pensée des enfants. Il crée l'AGSAS (Association de Groupe de Soutien Au Soutien), en 1993, qui vise à traiter l'échec scolaire d'un point de vue pédagogique et psychologique. C'est en découvrant, les travaux de Lipman, qu'il décide de mettre en place ses propres ateliers de philosophie ARCH. Sa méthode est entièrement tournée sur la psychologie de l'enfant. Elle cherche à lui faire faire l'expérience de sa propre pensée, d'en être la source, et de découvrir les plaisirs et les pouvoirs qu'elle procure. Au contraire des autres courants, l'ARCH est lié davantage au plaisir de réfléchir qu'au souci de bien raisonner. Il privilégie le " débat interne " (non oralisé), en faisant primer la pensée sur la parole.
Ce sont des ateliers courts, pour éviter l'éparpillement de la réflexion et la saturation. Un bâton est utilisé, permettant de faire circuler la parole et incitant la libre expression de chacun. L'utilisation de moments de silence permet de calmer les esprits et de faciliter la réflexion. Après l'atelier, un échange sur le déroulement de la séance offre un approfondissement de l'expérience. Un compte rendu ou un enregistrement peuvent être réalisés. Ceux-ci proposent une continuité de réflexion personnelle ou collective ultérieure, mettant en avant l'utilité du temps long.
En France, la maïeutique s'est, principalement, développée sous l'impulsion d'Oscar Brenifier, qui a fondé, dans les années 90, l'IPP (Institut de Pratiques Philosophiques) avec sa compagne Isabelle Millon. La maïeutique est de tradition socratique. Elle est représentée par les dialogues de Platon qui mettent en scène Socrate. Elle ne produit ses effets qu'en tant que pratique vivante du dialogue. Elle désigne l'art (douloureux) de faire accoucher les âmes. Il s'agit de questionner l'autre, et de ne rien produire soi-même. Ainsi, l'autre n'apprend que de lui-même, le questionneur n'étant qu'un miroir révélateur de sa pensée.
Cette méthode propose de porter une réflexion sur un sujet, mais surtout sur la manière dont on en parle. L'interlocuteur est mis face à ses incohérences, ses imprécisions, ce qui a pour effet de l'interpeller sur sa pensée elle-même. Il s'agit donc d'un mouvement incessant entre travail logique et travail d'attention à ce que l'on fait et à ce que l'on dit. Ce type de dialogue demande de la clarté, de la concision, un engagement authentique et une acceptation des questions posées.
Contrairement aux autres méthodes, qui privilégient la pensée des participants, l'animateur joue, ici, une place fondamentale, car il est à la source des fluctuations du dialogue. A travers la réflexion collective, il s'agit moins de produire une pensée, que d'observer cette pensée. Précisons, que ce type d'atelier peut être difficile et déroutant, particulièrement pour les plus jeunes, et qu'il doit être adapté à un public et un contexte approprié.
La méditation est un ensemble de pratiques spirituelles proposé par de nombreux enseignements religieux orientaux (Bouddhisme, Hindouisme, Taoïsme etc.). L'une de ces pratiques est la méditation attentionnelle, dont la méditation " pleine conscience " est la plus connue. Celle-ci peut être qualifiée de méditation laïque dans le sens où elle peut être détachée de toute pratique religieuse. Il s'agit d'une pratique de l'attention, principalement axée sur la respiration. En se concentrant sur un mécanisme automatique de notre corps, il est alors possible de canaliser nos pensées, voir de calmer notre agitation intérieure, sans prétendre à un état de vacuité totale, pour autant.
Cette technique d'attention permet à l'esprit de s'apaiser temporairement. Elle est, ainsi, parfaitement adaptée à des ateliers philosophiques pour enfants (et même adultes). Elle peut, par exemple, se substituer aux temps calmes de l'ARCH, en début, voir même en fin de séance, pour mettre les esprits en condition. Notons, que ce type de pratique est utilisé par l'association SEVE, fondée par Fréderic Lenoir, et qui propose des ateliers philosophiques, ainsi que des formations, dans toute la francophonie.
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